05 mai 2023
Pour déployer sa stratégie, MEDISAFE s’appuie sur la compétence de 25 experts nationaux et internationaux dans les domaines pharmaceutique, juridique et d’application de la loi. Pour ce troisième volet de « Parole d’experts », nous échangeons avec l’un des deux experts en application de la loi, dont nous préserverons l’anonymat pour des raisons de confidentialité et de sécurité. Il est spécialisé dans la lutte contre le crime organisé et la production et le trafic de produits médicaux de qualité inférieure et falsifiés (PMQIF). Dans le cadre de sa mission, il apporte un appui technique et opérationnel en matière de suivi des menaces, de surveillance et renseignement. Il forme ainsi les agences chargées de l’application de la loi au sein de nos 11 pays partenaires, pour renforcer leurs capacités policières et les accompagner dans la mise en place de protocoles et de procédures permettant d’améliorer la détection et le contrôle des PMQIF.
Quels sont les structures concernées par l’application de la loi en matière de produits médicaux de qualité inférieure et falsifiés et quel est leur rôle ?
Expert en application de la loi : La criminalité liée aux produits médicaux de qualité inférieure et falsifiés (PMQIF) est menée par des groupes criminels organisés transnationaux (COT). Ils utilisent un écosystème complexe et des méthodes criminelles allant de la fabrication des matières premières illicites à l’emballage. Le crime organisé transnational cherche toujours à avoir deux pas d’avance sur les forces de l’ordre. Pour lutter contre cette criminalité en matière de PMQIF, une coordination constante entre les huit structures nationales d’application de la loi est importante. Cette coordination commence, en première ligne, avec les autorités douanières nationales qui contrôlent l’entrée et la sortie du transport maritime et des frontières aériennes et terrestres. En collaboration avec les autorités nationales de sécurité sanitaire qui représentent la deuxième structure, les douanes se coordonnent avec les renseignements nationaux pour effectuer des recherches spécifiques. Ces derniers, aussi nommés département des investigations criminelles, sont la troisième structure. Ils recueillent des renseignements nationaux et internationaux sur les expéditions suspectes, qu’ils fournissent aux douanes. Les autorités de l’immigration, quatrième structure, a pour rôle d’arrêter et d’interroger les suspects trouvés en possession de PMQIF. La cinquième structure est la police médico-légale qui effectue des tests officiels sur l’emballage d’un PMQIF suspecté ou sur le document d’expédition frauduleux ou contrefait. Les unités de criminalité financière, en collaboration avec l’unité nationale de cybercriminalité, sont la sixième structure. Elles identifient les transactions frauduleuses opérées par le crime organisé. La septième structure impliquée dans cette coordination est constituée des organisations et structures internationales implantées nationalement, telles qu’INTERPOL et AFRIPOL. Elles interviennent dans ce processus en tant qu’unités spécialisées, en partageant les renseignements internationaux et en procédant à l’extraction des criminels identifiés. La dernière structure est la cellule d’analyse criminelle, qui regroupe l’ensemble des renseignements des différentes unités policières et réalise l’analyse criminelle opérationnelle et stratégique.
À quels défis majeurs font face ces structures dans les 11 pays partenaires du projet MEDISAFE ?
E.A.L.: Le premier défi est la gestion des immenses frontières. Les vastes zones géographiques facilitent les activités des COT qui trouvent plus facilement des voies d’entrée et de sortie illégales. Le manque de règlementation en matière de surveillance des frontières est un autre défi : 39 % des États membres ont des procédures réglementaires limitées alors que les crimes liés aux PMQIF sont considérés comme des activités à faible risque et à haut profit pour les groupes criminels. Par ailleurs, le commerce de l’Asie du Sud-Est vers la région de l’Afrique de l’Est a connu une très forte augmentation ces 20 dernières années, ce qui a favorisé les activités criminelles liées aux PMQIF. Aujourd’hui, 90% des PMQIF trouvés dans la région sont produits et expédiés depuis l’Asie. La région a donc besoin d’officiers spécialisés formés pour être en mesure d’identifier les PMQIF, de suivre les crimes financiers illicites et de recueillir des renseignements. Le contexte socio-économique est également un défi. Les crises économiques font croître la demande de PMQIF et favorisent la corruption et le recrutement des facilitateurs pour appuyer la contrebande. Au sein des 11 pays partenaires, on observe également des capacités limitées en matière de lutte contre la cybercriminalité, ainsi que le manque d’expertise, d’équipements policiers et de bases de données centralisées entre les différentes structures d’application de la loi pour enquêter, suivre les expéditions et surveiller. Le dernier défi est relatif à l’insuffisance du cadre juridique et des codes pénaux nationaux pour poursuivre le commerce en ligne des PMQIF.
Quelle est la stratégie du projet MEDISAFE pour participer à l’amélioration du contrôle et du dépistage des produits médicaux de qualité inférieure et falsifiés ?
E.A.L.: Le projet MEDISAFE s’appuie sur l’approche en trois volets recommandée par l’OMS : prévention, détection et réponse. L’amélioration du contrôle et du dépistage des PMQIF s’inscrit dans le cadre du second volet. Le projet aide à la mise en place de systèmes de détection des PMQIF déjà présents dans la chaîne d’approvisionnement. Pour cela, nous avons intégré aux formations à destination des pays partenaires des procédures opérationnelles sur la détection de première ligne :
Dans le cadre du projet MEDISAFE, un outil a récemment été développé pour appuyer les pays partenaires sur le sujet, pouvez-vous nous en parler ?
E.A.L.: Le projet MEDISAFE a publié avec succès des procédures opérationnelles normalisées (SOP) élaborées par les experts en application de la loi pour les pays partenaires. Le document décrit un certain nombre d’initiatives et de bonnes pratiques observées par les experts. Combinées à d’autres efforts stratégiques et opérationnels, elles constituent un levier important dans la lutte contre l’augmentation des PMQIF, leur fabrication et leur distribution. Les SOP énoncent aussi des recommandations qui visent à améliorer la réponse et à réduire l’impact des activités et campagnes criminelles en Afrique de l’Est et du Centre. Préparées avec l’appui et les contributions des pays partenaires, elles s’adressent aux décideurs politiques et aux structures d’application de la loi : la police nationale et aux frontières, les douanes, les services de police judiciaire, les autorités nationales de régulation des médicaments et produits de santé et les décideurs ministériels.
Concernant plus particulièrement la coopération policière internationale et régionale, quelles ont été les actions menées ?
E.A.L.: Dans le cadre du projet MEDISAFE, nous avons fourni une formation aux officiers nationaux et aux régulateurs des pays bénéficiaires sur la coopération policière nationale, régionale et internationale. Nous avons présenté des exemples concrets, où les suspects ont été identifiés, les preuves collectées par une enquête conjointe entre plusieurs pays, et l’arrestation et l’extradition menées pour la poursuite des suspects.
Et concernant la sensibilisation du public et la coopération avec le secteur privé sur cet aspect ?
E.A.L.: Je suis très heureux que ce sujet soit mentionné dans cette interview, car il est essentiel dans la lutte contre la criminalité liée aux PMQIF. La sensibilisation du public consiste à alerter les populations sur les conséquences des PMQIF sur leur santé, et à les aider à les identifier. Cette action est d’autant plus importante dans un contexte de cybercriminalité croissante. Dans le cadre du projet, nous avons donc transmis les bonnes pratiques en la matière. En parallèle, nous avons fourni aux enquêteurs des forces de l’ordre des techniques de coopération avec les entreprises du numérique (plateformes et réseaux sociaux) pour obtenir des renseignements sur les cybercriminels liés aux PMQIF tout en respectant la protection des données personnelles et la réglementation de ces entreprises. Le secteur privé a un rôle à jouer sur la sensibilisation du public en menant des campagnes, en collaboration avec le secteur public, pour faciliter l’identification des PMQIF.
Quelles sont les bonnes pratiques que vous avez pu observer dans la région en matière de lutte contre les crimes liés aux produits médicaux de qualité inférieure et falsifiés ?
E.A.L.: Ce que nous avons observé, c’est que les forces de l’ordre et les régulateurs nationaux sont conscients de la menace que représentent les crimes liés aux PMQIF. Nous avons constaté un très haut niveau d’engagement, de maturité et d’expertise tant de la part des régulateurs que des policiers. Plus important encore, ils sont attentifs aux besoins des autres structures et ont un grand sens des responsabilités envers la communauté. Parmi les bonnes pratiques que nous avons observées figurent l’utilisation de systèmes de sécurité portuaire très avancés, de haute capacité et avec bases de données, dont disposent certains des 11 pays partenaires de MEDISAFE. Cela signifie que tous les autres pays sont en mesure d’atteindre ce niveau élevé de sécurité portuaire, mais qu’ils auront besoin du financement adéquat pour le contrôle des frontières, la sécurité portuaire et le renforcement des capacités.
Quelle est votre principale recommandation concernant les opérations policières ?
E.A.L.: Nous recommandons que les forces de l’ordre soient pleinement engagées avec les régulateurs aux frontières et aux points de douane. Cela permettrait des déploiements opérationnels proactifs aux points de passage frontaliers irréguliers. La plupart du temps, lorsque les renseignements indiquent une menace de trafic illicite en dehors de la frontière, la police répond par des opérations de répression sans impliquer les régulateurs aux frontières. Ce manque de collaboration crée un environnement plus favorable aux importations de PMQIF. Une plus grande coordination des autorités sanitaires assurerait une présence adéquate aux frontières et aux points de douane. Une collaboration plus importante avec les officiers spécialisés en pharmaceutique serait aussi nécessaire pour garantir une collecte adéquate des preuves et la constitution du rapport afin de mener à bien les poursuites.
Un séminaire a eu lieu au Ghana du 27 au 31 mars, quel était l’objectif et quels sont les résultats ?
E.A.L.: L’objectif du séminaire était de développer les capacités des agents de la police, des douanes et des inspecteurs des autorités nationales de réglementation des médicaments. Il s’agissait d’améliorer leurs compétences en matière d’identification, de détection et de contrôle des PMQIF, d’améliorer la coopération inter-agences aux niveaux national et régional, et de faciliter l’échange d’informations opérationnelles entre elles. Quatre pays partenaires de MEDISAFE étaient invités : le Ghana, le Malawi, les Seychelles et la Zambie. Nous avons observé une réelle coopération entre les pays et les unités spécialisées. Les discussions entre les officiers supérieurs sur des cas inter-régionaux sensibles ont rendu le séminaire encore plus intéressant. Ils ont partagé des informations de renseignement avec une volonté d’avancer sur une action opérationnelle commune. À la fin du séminaire, les autorités ghanéennes ont invité tous les participants à une visite du port maritime d’Accra. Nous avons pu explorer leurs procédures de sécurité avancées et leur excellente coordination nationale pour lutter contre les expéditions illicites de PMQIF.
Quelle va être la prochaine activité en lien avec l’application de la loi ?
E.A.L.: Nous prévoyons d’assister au comité de pilotage où l’ensemble des experts du projet MEDISAFE, des parties prenantes et des partenaires dans les domaines pharmaceutique, juridique et d’application de la loi se réuniront pour discuter du projet et partager leurs succès et leur expertise en prévention, détection et réponse. L’activité sera aussi l’occasion de proposer aux pays membres de nouvelles phases de projet pour un soutien supplémentaire dans la lutte contre le crime lié aux PMQIF.