06 décembre 2022
Sophie Figueroa est une des expertes juridiques du projet MEDISAFE. À la fois pharmacienne inspectrice de santé publique, avocate et docteure en droit pénal, son parcours lui confère une connaissance approfondie des enjeux de santé publique, des acteurs du système de santé et de l’environnement institutionnel. Son expérience au sein du ministère de la Santé français lui a permis de développer une expertise dans la rédaction et la mise en œuvre du cadre légal et réglementaire dans le domaine de la santé publique. Dans cet entretien pour « Parole d’experts », elle nous parle de la Convention MEDICRIME élaborée par le Conseil de l’Europe, et de son intérêt majeur dans la lutte contre les médicaments et produits de santé falsifiés et de qualité inférieure. Elle revient notamment sur les avancées qu’a permis le séminaire régional MEDISAFE de Nairobi au Kenya en avril 2022.
Pour commencer, pouvez-vous nous expliquer ce qu’est la Convention MEDICRIME et pourquoi elle a été créée ?
Sophie Figueroa : La Convention MEDICRIME est le premier instrument international juridique contraignant dans le domaine du droit pénal à criminaliser la falsification mais aussi la fabrication et la distribution de médicaments et autres produits de santé mis sur le marché sans l’autorisation requise de l’autorité réglementaire régionale ou nationale, ou en violation des normes de sécurité.
Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, un médicament sur 10 serait falsifié dans les pays émergents. C’est un phénomène d’envergure mondiale qui n’épargne aucune chaine d’approvisionnement, même robuste. La mise en circulation de médicaments et autres produits de santé contrefaits a été constatée dans certains pays européens. L’Europe constitue désormais une zone de transit permettant leur acheminement vers d’autres pays.
Face à ce constat, le Conseil de l’Europe a élaboré la Convention MEDICRIME. Elle érige en infractions pénales la fabrication intentionnelle, la fourniture, l’offre de fourniture et le trafic de médicaments falsifiés, la fabrication ou la fourniture non autorisées de produits médicaux, la mise sur le marché de dispositifs médicaux ne remplissant pas les exigences de conformité, et la falsification de documents. Elle introduit des sanctions pénales et des mesures de prévention et de protection des victimes. Ce traité est tourné vers la protection de la santé publique et n’aborde pas les questions relatives à la propriété intellectuelle.
Le caractère lucratif du trafic de médicaments falsifiés a attiré les organisations criminelles internationales. Il est donc devenu crucial d’envisager une réponse harmonisée et coordonnée sur le plan international. Pour cela, la Convention MEDICRIME, ouverte à tous les pays, offre un cadre de coopération international et des mesures destinées à améliorer la coordination au niveau national entre les disciplines et les secteurs.
Quel est l’enjeu de la ratification pour les pays partenaires du projet MEDISAFE ?
S.F.: La Convention MEDICRIME permettra aux futurs pays signataires de s’appuyer sur un cadre commun procurant une législation harmonisée au niveau international et permettant l’application de sanctions dissuasives proportionnelles aux dommages causés aux patients. Ce traité offre un cadre clair en termes de coopération au niveau national et international, en envisageant notamment l’échange d’informations. La communication facilite la détection précoce des produits contrefaits et permet d’endiguer la prolifération de ces infractions. Par conséquent, toute nouvelle ratification renforce le pouvoir de la Convention MEDICRIME afin d’intensifier la lutte contre les médicaments falsifiés.
Quelles actions en lien avec la Convention sont menées dans le cadre de MEDISAFE ?
S.F.: Dans le cadre du projet MEDISAFE, nous avons réalisé dans les 11 pays partenaires des séminaires techniques sur les bonnes pratiques en matière de législation lors desquels nous avons présenté la Convention MEDICRIME. Avec les participants et les experts juridiques nationaux du projet, nous avons examiné les législations nationales concernant les médicaments et produits de santé falsifiés ou de qualité inférieure. Cette démarche a permis d’identifier les lacunes de leur cadre juridique au regard de la Convention. Les dispositions qui composaient l’arsenal juridique pouvaient être incomplètes ou difficilement applicables pour différentes raisons.
En avril 2022, un séminaire régional a été organisé à Nairobi au Kenya pour mettre en avant l’intérêt de l’adhésion, ainsi que le processus de mise en œuvre de la Convention ou d’un niveau équivalent de règles législatives et de normes réglementaires au regard de cette dernière. Les 11 experts juridiques nationaux du projet ont ainsi établi pour leur pays une feuille de route avec des étapes concrètes pour leur gouvernement respectif afin d’améliorer la lutte contre les médicaments falsifiés.
Par ailleurs, au travers d’échanges avec les pays partenaires, il a été mis en exergue la nécessité d’une réponse coordonnée et organisée de la part des États face au caractère transfrontalier des infractions. Il est décisif que les initiatives contre ces activités criminelles soient prises dans le cadre d’une coopération entre les différents acteurs. Un manque d’échange et de communication entre les autorités de santé, les douanes, la police et le pouvoir judiciaire, à la fois sur le plan national et international, entraine des conséquences non négligeables sur la capacité des États à poursuivre les organisations criminelles.
Au sein des 11 pays partenaires du projet MEDISAFE, combien s’inscrivent dans le processus de ratification et quelles sont les prochaines étapes pour les appuyer dans cette démarche ?
S.F.: Le Burundi et la RDC par l’intermédiaire de leurs experts juridiques nationaux soutenus par les points focaux nationaux, ont fait connaître leur intérêt quant à l’adhésion de leur pays à la Convention MEDICRIME. Afin d’aider et de soutenir ces pays dans cette initiative, nous allons mettre en place des séminaires techniques d’adhésion à la Convention en collaboration avec le Conseil de l’Europe en charge du processus. L’objectif est, outre la sensibilisation des représentants du gouvernement, des membres du parlement et des instances judiciaires, d’accompagner ces pays dans la constitution et la consolidation du dossier d’adhésion. Il sera ensuite présenté au gouvernement qui décidera et actera la volonté du pays de s’inscrire dans ce processus.